Saveurs de l’Andalousie : À la table de Malaga, entre mer, montagne et mémoire
Au sud de l’Espagne, bercée par les embruns de la Méditerranée et la chaleur des terres arides, Malaga ne se contente pas d’être une destination de plages ou de musées. C’est aussi un haut lieu de la cuisine andalouse, généreuse, ensoleillée, héritière d’un passé aux mille visages.
ESP
5/14/20255 min temps de lecture


En Andalousie, on ne mange jamais seul. L’hospitalité est un art de vivre : offrir un plat, c’est ouvrir son cœur. À Malaga, les tapas sont souvent offertes avec les boissons dans les bars de quartier – une tradition plus rare dans d’autres régions. Une vieille coutume veut que le premier plat partagé dans une maison soit un "plato de los pobres" (plat du pauvre): généralement un ragoût de légumes ou de pois chiches, en souvenir des temps de disette où l’on se partageait le peu que l’on avait.
Les repas s’éternisent ici : entre chaque bouchée, on parle de la mer, des vendanges, de la vierge protectrice du quartier, et surtout... de ce qu’on mangera demain.
Sous le soleil d’Al-Andalus: aux origines envoûtantes de la cuisine malaguène
Il est des lieux où la cuisine n’est pas née d’un caprice ou d’un hasard, mais d’une lente alchimie entre les hommes, la terre, le ciel... et le temps. La région de Malaga, suspendue entre les falaises de la Sierra et les bras tièdes de la Méditerranée, est de ceux-là. Ici, chaque plat raconte une conquête, un exil, un labeur. Et dans chaque parfum flotte encore l’écho des civilisations disparues.
La mer, première nourricière
Bien avant les Romains, les Phéniciens jetaient déjà leurs filets dans la baie de Malaga. Ils pêchaient la sardine, l’anchois, le mulet, et préparaient le garum, une sauce fermentée à base de poisson que l’on versait sur presque tout. Cette tradition, adoucie avec le temps, subsiste aujourd’hui dans la mojama (thon salé et séché au soleil) ou les fameuses sardinas al espeto, ces poissons embrochés et grillés face à la mer, dont le goût fumé fait vibrer la mémoire collective.
Les Maures et le jardin andalou
Mais c’est au VIIIe siècle, avec l’arrivée des Maures, que la cuisine andalouse prend sa forme la plus envoûtante. Sous leur règne, la terre se transforme en verger parfumé : on irrigue les vallées, on plante orangers, citronniers, figuiers, grenadiers, amandiers, on acclimate les aubergines, les épinards, les carottes, le riz et le safran.
Le mot "azúcar" (sucre) vient de l’arabe as-sukkar. Comme tant d'autres : aceite (huile), alcachofa (artichaut), almendra (amande), albóndiga (boulette)... autant de témoins linguistiques des racines arabes de la cuisine locale.
Les Maures laissent aussi un goût pour les mélanges doux-salés, les plats en sauce, les desserts aux fruits secs et au miel. C’est d’eux que naît l’esprit de plats comme l’ajoblanco, cette soupe blanche d’amande, ou encore les pâtisseries comme les roscos de vino ou les tortas de aceite, à la texture fine et au parfum d’anis.
La cuisine du monastère et du peuple
Avec la Reconquista au XVe siècle, Malaga passe sous domination chrétienne. Les moines des couvents développent une cuisine de pénitence : humble, mais savoureuse. Lentilles, pois chiches, morue dessalée, huile d’olive. La cocina conventual donne naissance à des plats comme les potajes, ragoûts lents et nourrissants, et aux desserts de Semaine sainte, où le sucre et la foi s’entrelacent.
Parallèlement, le peuple des campagnes invente une cuisine de subsistance solaire : tomates, poivrons, pain rassis, ail, huile et vinaigre deviennent l’armature des soupes froides comme le gazpachuelo (soupe de poisson, huile et citron) ou la porra antequerana, un gaspacho épais originaire d’Antequera, ville au cœur de la province.
Les vendanges et l’or liquide
Dans les collines de l’Axarquía, à l’est de Malaga, les terrasses escarpées sont tapissées de vignes muscat. Les raisins y sont étalés sur des nattes pour sécher au soleil : c’est la méthode traditionnelle dite asoleo. De là naissent les vins doux de Malaga, jadis exportés à Saint-Pétersbourg ou à Londres, servis dans les banquets royaux.
On raconte qu’un ambassadeur russe du XVIIIe siècle déclara : « Le vin de Malaga a le goût du crépuscule andalou. »
C’est aussi dans ces terres que l’on cultive l’autre trésor de la région : l’huile d’olive vierge extra. Dans chaque village, les anciens pressent encore les olives comme leurs aïeux, dans des almazaras au parfum d’herbe, de bois et de fruit noir.
Une mémoire comestible
La cuisine de Malaga est une mémoire comestible : un héritage d’échanges, de conquêtes et de migrations. Des Juifs sépharades, on conserve certaines habitudes de cuisson et des plats de Pâque. Des Génois, venus s’installer au port, l’amour des fritures fines. Des gitans andalous, la passion du feu et des plats partagés dans la rue.
Et jusqu’à aujourd’hui, les traditions perdurent. Dans chaque feria, on sert l’ajoblanco dans des gobelets en plastique. Dans les mariages, les grands-mères apportent leurs empanadillas farcies à la main. Sur les plages d’El Palo, les pêcheurs cuisinent toujours leurs sardines comme leurs arrière-grands-pères.
Des mets aux racines profondes
Espetos de sardinas – l’icône du littoral
Difficile d’évoquer Malaga sans penser à ses fameux espetos de sardinas : des sardines fraîchement pêchées, embrochées sur des piques en bois d’olivier et grillées dans le sable, sur une barque transformée en barbecue.
Anecdote : Cette tradition remonte à la fin du XIXe siècle. Un certain Miguel Martínez Soler, surnommé “El Gran Miguel”, tenait une taverne de plage à El Palo. Un jour de grande chaleur, il décida de faire griller les sardines dehors, plantées dans le sable. Le succès fut tel que cette méthode devint un emblème de la ville.
Ajoblanco – la soupe blanche des montagnes
Cette soupe froide à base d’amandes, d’ail, de mie de pain, d’huile d’olive et de vinaigre, souvent servie avec des grains de raisin frais, est l’ancêtre du gaspacho. Elle trouve ses racines chez les Romains et les Maures, qui apportèrent avec eux la culture de l’amandier.
À Málaga, on la déguste en été lors de la "Fiesta del Ajoblanco" à Almáchar, un village blanc des montagnes où l’on la sert gratuitement aux visiteurs, dans une atmosphère de fête et de flamenco.
Porra antequerana – l’épaisseur du cœur andalou
Cousine plus dense du gaspacho, cette soupe de tomates, pain et huile d’olive est originaire d’Antequera, ville intérieure de la province de Málaga. On la garnit de jambon ibérique ou d’œufs durs. Contrairement au gaspacho, elle se mange à la cuillère, bien froide.
Son nom viendrait du mot "porra", désignant un pilon en bois utilisé pour écraser les ingrédients dans un mortier.
Une douceur avec du caractère : les tortas de Algarrobo
Dans le petit village d’Algarrobo, on prépare depuis des siècles une pâtisserie à base de miel, d’huile d’olive, de cannelle, d’anis et d’amandes : les tortas de aceite. Elles sont à la fois croquantes et fondantes, et se conservent longtemps – un héritage des caravanes de commerce maures.
Ces gâteaux faisaient souvent partie de la dot que les jeunes filles apportaient à leur mariage.
Le goût du passé au présent
À Malaga, on ne cuisine pas pour nourrir, on cuisine pour se souvenir. Le pain, l’huile, le vin, la mer, les épices... tout cela compose une gastronomie de la mémoire, où chaque recette est une prière ancienne récitée au rythme du pilon et du feu.
Il ne suffit pas de goûter un plat malaguène. Il faut l’écouter, le respirer, le rêver. Car sous chaque bouchée, sommeille un millénaire.
Blog
Découvrez des activités incroyables dans le monde.
Partenaires
Contact
happytripin@mail.com
© 2025. All rights reserved.